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Les tribulations d'un sombre héros.
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Les tribulations d'un sombre héros.
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15 novembre 2009

Descansa en paz...

(Repose en paix...)

093

Il aura fallu que l'Ange de la Mort pointe le bout de son pétard osseux pour que je me décide à prendre de nouveau la plume. Non, non, je ne me suis pas fait renverser par un iguane en rut. Je n'ai pas non plus failli y passer à cause des sucettes au piment (encore que...). Non, j'ai simplement vécu le jour des morts version mexicaine et j'ai ressenti un besoin pressant de vous faire partager cet étrange moment...

La mort, au Mexique, c'est un peu comme le mole (une sauce à base de cacao particulièrement savoureuse), tout part du mélange des traditions. Au commencement, il y a les coutumes indigènes (mayas en particulier) aux arômes corsés et fascinants, auxquelles on a rajouté par la suite une bonne louche de catholicisme, mâtiné d'un zeste de superstition, histoire de relever le tout. Le cocktail est détonnant.

Le Dia de los Muertos, c'est une sorte de rêve éveillé où l'on croise, de maisons en maisons et de places en places, les altares (« autels » aux morts; même les partis politiques en construisent dans les lieux publiques !) croulant sous les fleurs et les offrandes, où les rues, à Querétaro comme ailleurs, fourmillent d'échoppes improvisées proposant des crânes en sucre ou des couronnes funèbres en chocolat. Un jour où il n'est pas rare de croiser, au sortir des cimetières, une troupe de borrachos (ou « gens bourrés »), jeunes ou vieux, qui viennent de se recueillir sur les tombes de leurs morts à grandes gorgées de téquila. C'est aussi l'occasion d'offrir à ses amis les fameuses calaveras (mot à mot, « crâne »), de petits poèmes satiriques décrivant par le menu la façon dont la personne en question mourra. Loin de paraître lugubre, ce geste est en fait une manière d'honorer ses proches et surtout de rire de la Mort. Car pour les Mexicains, celle qu'ils nomment la Catrina (oui oui, M'man, tu lis bien) est partie intégrante de nos vies et ne doit soulever en nous ni peur ni regret. Le plus impressionnant est de voir à quel point cette tradition est encore vivace, même parmi les jeunes. Je l'ai bien compris en voyant Itsel construire tranquillement le petit autel qu'elle a dédié à sa mère morte il y a trois ans... en face de ma chambre.

Ah oui, parce que là, j'oubliais un détail : la tradition veut que les morts reviennent, le temps d'une nuit, dans le monde des vivants. Et comme chacun le sait, après une telle descente (ou une telle ascension, ça dépend), on crève de faim ; c'est pourquoi on ne manque pas de placer sur l'autel toute sorte de fruits, la bière préférée de Pépé mais aussi le fameux pain des morts (délicieux !) que l'on ne trouve qu'à cette période de l'année. C'est donc un autel débordant de victuailles qu'on a édifié à deux pas de ma porte.

Cool.

« Tiens, peut-être que ma maman viendra te dire bonjour, le Français », me dit Itsel d'un air candide.

Oh ben faut pas qu'elle se dérange, hein...

027

A dire vrai, je n'étais pas là pour vérifier le soir-dit, mais lorsque je suis revenu le lundi matin, il y avait comme un ptit coup de dent dans une des miches placées là...

Ceci étant, ce à quoi j'ai assisté n'était pas non plus complètement anodin : avec Emilie, une collègue, et Paloma, une étudiante avec qui je m'entends bien, nous avons décidé d'aller faire un tour dans un endroit bien particulier... ZE cimetière ultime ! L'endroit où tout le Mexique un tant soit peu dans le vent, les morts comme les vivants, se rend pour vider un godet et se raconter les derniers cancans. Nous voilà donc partis, dimanche matin, pour ce qui est en fait une petite île lacustre, aux abords de la ville de Patzcuaro, dans l'état du Michoacan, à plus de 2000 mètres d'altitude. Célèbre dans tous le pays pour ses fêtes données à l'occasion du Jour des Morts, Janitzio abrite pas moins de cinq cimetières et accueille des milliers de touristes mexicains venus, en famille, s'encanailler sur les tombes. Après quatre heures de route (nous avons pris la voiture de Paloma) et avoir laborieusement dépassé une gigantesque procession de rancheros (les cowboys mexicains) qui s'étaient rendus maître de la route et déroulaient devant nous un impressionnant tapis fécal, nous nous retrouvons ainsi dans les montagnes, en plein pays tarasque (la fresque de l'album photo témoigne de l'histoire dramatique de ce peuple).

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Une fois avalé un déjeuner (à 5 heures de l'après-midi...) de mole con pollo (poulet au cacao : mon plat préféré !), nous nous jetons à corps perdus dans la foule des badauds qui baguenaudent et des pèlerins qui pèlerinent. J'achète un bonnet pour le froid qui commence à s'immiscer vicieusement et une portion de caramel au lait de chèvre (!!) en cas de coup dur. Très vite, le jour décline et nous devons nous mettre en route pour l'île. Il fait nuit noire lorsque nous embarquons sur une sorte de petite péniche qui fait l'aller et retour pour acheminer sa cargaison de chair passablement alcoolisée jusque Janitzio. L'ambiance joviale cède pourtant le pas, peu à peu, à une sorte d'engourdissement frileux, à mesure que nous avançons et que les rayons de lune gèlent la moindre ride à la surface de ce lac d'obsidienne.

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Tout le monde semble retenir son souffle, sans que je sache vraiment pourquoi. Et puis, d'un seul coup, je comprends. Au détour d'un bras de terre, elle apparaît. L'île. Comme une colline de lumières qu'un paysagiste dément aurait planté là, au beau milieu de l'eau. Et tandis que nous glissons lentement sur l'onde, je ne peux m'empêcher de penser à notre île des morts. Celle de nos légendes celtiques. Est-ce donc ici qu'on peut désormais trouver Avalon ?

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Ah ben en fait, non... Ou alors une Avalon défigurée par un rejeton maléfique de l'infâme Waltos Disneyos... Parce qu'une fois posé le pied sur terre, je me rends vite compte que l'endroit tient plus du Mont Saint-Michel sauce guacamole que de la nécropole mystique. Janitzio est juste un village vitrine, dont je me demande à quoi peuvent bien ressembler les rues une fois vidées de leur sang touristique. Je mets ma déception en sourdine et avance en bon petit globule vers le coeur de l'île, pour un nettoyage spirituel en règle. Je me console d'ailleurs assez bien en avalant un gobelet fumant de Jamaïca, une décoction à base de fleur d'ibiscus qui a le bon goût de vous transformer en sauna sur pattes. Au gré de notre circulation opiniâtre, nous nous coagulons (en tout bien, tout honneur) à quelques uns de mes collègues venus eux aussi assister aux réjouissances. La presse se fait de plus en plus compacte tandis que nous continuons notre ascension. Des chapelles apparaissent ça et là, entre les échoppes de gorditas (crêpes au maïs fourrées) et de bonnets de laine et la foule se fait soudain plus silencieuse. Dans chacun de ces petits temples, un autel luxuriant, embaumé de cet encens particulier qu'on utilise au Mexique depuis les aztèques et leurs danses extatiques.

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Nous nous coulons pour quelques minutes encore dans les artères chaudes et tamisées qui sillonnent la colline et débouchons soudain, en troupeau égaré, sur un trou noir. Une poche de Néant que la Lune peine à éclairer et dont les seuls puits de lumière sont en fait les tombes autour desquelles une multitude de bougies a été disposée. C'est un peu comme le négatif de notre monde... Ici, la couleur est l'apanage des morts. Nous autres, nous nous contentons d'errer, gris et anonymes, entre les sépultures dont émane une drôle de vie bariolée. Instant de grâce. Et puis le premier flash crépite. Tout autour de moi, une armée de zombies photographes entame son festin d'images. La vitrine reprend ses droits... Nous nous promenons encore quelques minutes, l'appareil aux mains, histoire de ne pas être en reste. Ce qui est étrange, c'est que, même déchiqueté ainsi sous la crudeur de nos regards, l'endroit conserve comme une aura de bienveillance froide. Comme si, bon gré mal gré, il se prêtait au jeu de nos « risibles contorsions », comme dirait Baudelaire.

Ce n'est que deux heures plus tard, alors que je conduis la voiture de Paloma pour nous ramener à Querétaro, que je réalise à quel point tout cela correspond à ce qu'on m'avait dit sur cette journée. Pas de terreur respectueuse face à la mort, mais une acceptation candide, une fascination assumée. Comme une drôle de kermesse où le sacré n'est jamais là où on l'attend. La route défile devant moi, noire et serpentine, tandis que me reviennent en mémoire les dernières paroles échangés avec mes collègues lorsque nous nous sommes séparés : « Vous êtes sûrs que vous ne voulez pas venir ? Abraham a un super plan : Il y a une super rave, sur l'île voisine, pas loin d'un cimetière ! »....

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Commentaires
E
Aaaaah ben voilà !<br /> Je ne me rappelais plus de son nom ! Bocklin !! Merci, Daniel ! Je doute qu'il existe une façon aussi romantique de traiter la mort, ici. Ceci dit, c'est exactement à ce tableau que je pensais en approchant de l'île. <br /> <br /> C'est vrai que tout cela donne à penser aux danses macabres médiévales. Je crois que les Mexicanos n'ont pas été contaminés par la pudibonderie de l'époque classique qui, en Europe, a voulu cacher la mort, probablement parce qu'elle était vulgaire. Heureusement, la Faucheuse n'est pas rancunière... Je suis sûr qu'elle a réservé dans son lit une place de choix aux moralistes et aux critiques d'art. Gniark gniark.
D
Comme le dit notre ami nordique amateur de fricandelles (chacun fête ses morts comme il le peut...), c'est un réel plaisir de lire ta pittoresque "descente aux enfers" et de te retrouver sain et sauf (exception faite de l'excédent de cholestérol). J'espère que ce n'est pas compris dans les bagages au retour.<br /> Plus sérieusement, cela fait penser au rapport avec la Mort que connaissaient nos ancêtres moyen âgeux et que nous avons perdu: familiarité, dérision, mise en scène de la mort, etc...<br /> Belle incursion dans l'Ile des Morts... Existe-t-il un Bocklin mexicain ?
E
J'ai encore rien posté sur la bouffe d'ici... je vais me rattraper d'ici peu ! Merci pour vos commentaires, en tout cas, ça me fait toujours très plaisir ! :)
J
On va pas dire que tu reviendras maigrichon, semble t-il, dans la mesure où des tribulations sont quand même plus que parsemées d'allusions à la bouffe del pais!On dirait Papy quand il revenait de voyage, c'est rigolo!J'espère que tu fera sencore tout plein de trouvailles culinaires. Bécots...
F
C'est toujours un immense plaisir de te lire. C'est pour moi, pauvre résident de France métropolitaine, ce genre de texte d'aventures que j'aime lire, le soir sans un bruit, pour peupler ma nuit d'agréables rêves.<br /> Vite la suite !<br /> <br /> bises des fricadelles d'Hellemmes.
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